Excellentes conditions de jeu dans cette charmante petite ville. Bon la salle de tournoi est assez excentrée à moins de camper à côté, mais marcher un peu avant la ronde du matin ne fait pas de mal ^^ Sept parties à la fois intéressantes et difficiles : ce n'est jamais simple quand l'adversaire ne veut pas perdre ! ...Sans plus tarder, plongeons-nous dans l'analyse d'une partie dont le début m'a étonné :
Thomas Decker (2234) vs. Patrice Lerch (2339) R6
1.e4 c5 2.Nf3 e6 3.d4 cxd4 4.Nxd4 Nf6 5.Nc3 Nc6
Point de départ de la sicilienne des 4 cavaliers. Les blancs ont deux options principales : 6.Nb5 visant d6, ou bien 6.Nxc6 s'attaquant à la structure de pions. Après trois petites minutes de réflexion Thomas opte pour la seconde.
6.Nxc6 bxc6 7.e5 Nd5 8.Ne4
Nous y voilà : la structure de pions noires est assez bizarre et on se demande comment sortir les pièces. Le coup principal 8...Dc7 provoque 9.f4 affaiblissant la case e3, qui pourra servir de base avancée aux pièces noires, par exemple dans la ligne 10...Ne3 11.Qd3 Bb4+ 12.Bd2 Ba6 etc : voir la partie par correspondance Norchenko-Yurov (2020).
Cependant, Patrice choisit un coup secondaire visant plutôt à développer l'aile dame rapidement. Un coup étrange que l'on déconseillerait à un débutant puisque le fou en b7 semble n'avoir aucune perspective immédiate, mais... :
8... Bb7 (joué tempo)
Thomas est clairement hors prépa, il réfléchit ici un quart d'heure et trouve le bon coup.
9.c4 Nb4 (2 minutes de réflexion) 10.Bd2
Ce dernier coup n'est pas mauvais mais voyant le fou en b7 et le pion en c6, 10.c5 est très logique : c'est d'ailleurs la suite principale. Les noirs réaiguillent alors habilement le fou vers f1-a6 après 10...Db8 11.f4 Fa6 (12.a3 Fxf1 13.Txf1 Cd5 etc) avec "égalité complexe" ; la machine a beau dire +0.3, en pratique les déséquilibres apparents ont peu de chance de conduire à une nulle tranquille. Thomas a certainement vu cette possibilité Db8-Fa6.
10...c5 11.Ng3
On peut en revanche critiquer ce coup : le cavalier n'a pas de perspectives depuis g3. Il ne participera pas à l'action et ne reviendra dans le jeu qu'au 28eme coup via e2 pour s'échanger rapidement. Il fallait jouer 11.Fxb4 avec deux possibilités : 11...cxb4 12.Cd6+ Fxd6 13.Dxd6 et tout va bien, ou 11...Fxe4 12.Fc3 Dc7 13.De2 avec une position légèrement favorable aux blancs, le fou c3 étant meilleur que son homologue en f8 grâce à l'avantage d'espace dû au pion e5. L'activité du fou b7 n'est que temporaire (Tg1 g3 Fg2 par exemple) ; ceci dit, il joue au lieu de s'échanger en f1 après 10.c5.
11...Qc7 12.Bc3 0-0-0 13.Qe2
Un coup naturel, mais permettant 13...d5 car sur 14.a3 les noirs répondraient 14...d4. Les joueurs n'ont pas vu ces détails qui n'échappent bien sûr pas à Stockfish.
13...d6 14.a3 Nc6 15.exd6 Bxd6 16.O-O-O
En effet les blancs n'ont pas le temps de prendre en g7 : 16.Bxg7 Rhg8 (l'ordinateur préfère même 16...Bf4 : les menaces Bd2+, Ne5/Nd3+ et Qa5+ valent plus qu'une qualité) 17.Bc3 Bf4 18.Rd1 Nd4 et l'attaque est trop forte sur le roi blanc piégé au centre. Dans la suite je mentionne les améliorations Stockfish entre crochets.
16...Be5 17.Rxd8+ Rxd8 18.Bxe5 Nxe5 19.f3 [19.Qh5] 19...Nc6 [19...Nd3+ ; pas évident à calculer] 20.Qe3 Nd4 21.Bd3 Qd6 22.Rd1 Bc6 23.Kb1 Ba4 24.Rc1 Nxf3 25.Rc3 Nd4 26.Qe4 f5 27.Qh4 h6 28.Ne2 Bc6 [28...Qe5 empêche les blancs de s'activer] 29.Nxd4 Qxd4 30.Qe7 Qe5 31.Ka2 Bd7 32.Bc2 Re8 33.Qf7 Qf6 34.Qh5 Bc6 35.Qe2 Kc7 36.Qe1 Rb8 37.Bd1 [37.Qe3] Rb6 38.Rc2 Be4 39.Qa5 [39.Rc3]
Face à la menace 40.Qxa7+ ici, que jouez-vous ? :)
39...Bxc2 40.Qxa7+ Rb7 41.Qxc5+ Kd7 0-1 Il n'y a plus d'échecs, et la menace de mat en b2 empêche de reprendre le fou c2.
Conclusion : il peut être utile d'étudier quelques lignes secondaires (celle-ci étant même aussi forte que la principale), moins connues et donc avec l'espoir de faire réfléchir l'adversaire tôt dans la partie. ...Je ne conseille pas de jouer 1.g4 non plus hein ^^ Et conclusion bis : même à 2300 on commet plusieurs erreurs au fil du jeu - ce qui en dit long sur nos parties quelques centaines de points en dessous, mais ça donne aussi l'impression d'une progression accessible.
Exercices
Quelques positions issues du tournoi, dont trois provenant de mes parties.
39...e6 est le seul moyen d'espérer gagner. Le pion est tabou : 40.Txe6 Tc2 41.Tb6 b2 suivi de 42...Tc1+ et 43...b1=D, donc par exemple 40.Tb7 Tb1+ 41.Rg2 b2, mais là aussi on gagne facilement en montant le roi noir qui va croquer e5 (39...e6 évite 40.e6 qui l'aurait enfermé). Stockfish résiste mieux avec 40.Rf1 Rf7 41.Re1 Txh2 42.Txb3 Tg2, mais les noirs semblent gagner les deux pions, et la finale résultante est gagnante. C'est en fait la finale obtenue plus tard dans la partie, mais avec des erreurs des deux côtés... (en manque de temps je n'ai même pas envisagé 39...e6, et joué 39...Te2).
En zeitnot mutuel depuis le 20eme coup, nous jouons très vite et passons tous les deux à côté de ce joli coup (trouvé par mon sympathique adversaire à l'analyse) : 53.Fxd5+ Txd5 54.Tc8+ Rf7 55.Df3+ Re6 (ou 55...Re7) 56.Df6+ Rd7 57.Td8#.
Avec une douzaine de minutes à la pendule contre 30, dans la partie j'ai joué assez vite 22.Ce5 avec l'idée fixe d'avancer f4 g5 ; mais ma jeune adversaire contre habilement avec 22...Dd5+ 23.Tg2 Ff6 24.f4 Fxe5 25.fxe5 et il n'y a plus vraiment d'attaque blanche. Il fallait utiliser le pion h : 22.Dg3 Fe7 23.h4 f6 24.Tg2 b4 25.g5 etc, et l'attaque doit passer.
Fin de la partie opposant Alexandre Pigeat et Antoine Bournel R7. Ce dernier réfléchit deux petites (ou longues, je ne sais plus) minutes pour vérifier et envoie 46...Ch3 fourchette, cavalier imprenable sous peine de mat en 1 (...Dxh3#), mais les blancs avaient prévu le coup et jouent tempo 47.Cf5+ Dxf5 forcé sinon 48.Cxh3 48.Dxf5 ne gagnant une dame que très temporairement hélas : 48...Cxf2+ 49.Rh2 Cg4+ abandon, car le pion g6 n'est plus cloué et prendra en f5.
